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le 15 novembre 1900,

en rade de St-Vincent, à bord du ‘Dugay Trouin’.

Chers parents

Comme je vous l’ai déjà fait les autres fois, je vous envoie quelques grandes pages que je vous ai écrites à mesure de temps en temps. Et puis au dernier moment j’en rajoute deux petites.

Je souhaitais une bonne fête à papa. Je recommence dans celle-ci, car il n’est pas rare qu’une lettre se perde et n’arrive jamais ou arrive avec un mois de retard.

Pour le moment nous faisons une fête de traversée l’équateur et d’avoir un baptême du tropique. Sur un bateau ordinaire il n’y en aurait que pour les matelots, mais là nous allons faire une journée de folie. Il y a du reste bon nombre de nos officiers qui sont lieutenants de vaisseau, ont 20 ans de marine et n’ont pas passé l’équateur; ce sont les premiers à demander le baptême. Celui qui est président pour les dispositions à prendre est justement dans ce cas et sera baptisé le premier. Notre chef de poste est dans le même cas. Il a fait, dans son année d’Iphygénie, une campagne sur les cotes de Suède et de Norvège. Il y a une douzaine d’année de cela, mais depuis il est resté en escadre dans les mers de France, sauf une fois où il est allé en Chine par l’isthme de Suez. Il n’a pas eu de chance car il s’en est approché à un mille ½, trois kilomètres à peine et puis son navire est remonté au nord.

Je n’ai mis sur ma lettre précédente que deux timbre du Cap Vert ; c’est que j’en avais eu d’autres qui étaient tout prêt marqués. J’en ai 5 seulement du Cap Vert, les autres sont du Portugal. J’ai déjà dit à Marie et Suzanne, je crois, que je me réserve les timbres en triple quand il y en aura.

Nous avons attendu le courrier au lieu de le trouver à notre arrivée à St-Vincent, car ce paquebot a eu trois jours de retard sur sa traversée aussi j’ai bien peur de ne pas arriver à Montévidéo pour le 3 décembre. Nous resterons probablement assez longtemps à Montevidéo et de là nous irons aux Antilles directement en sautant le Brésil. Il y a paraît-il de la fièvre jaune à Rio de Janeiro, Bahia et Pernambouc, aussi nous n’irons pas. Pour adresser vos lettres, il faut donc changer, mettez maintenant:

Mr TREMBLE

Aspirant de Marine à bord du Duguay-Trouin

Bureaux étrangers

Paris

Dans ces bureaux qui savent constamment où nous sommes, ils enverront la lettre à sa destination. Elle aura peut-être un peu de retard aussi, mais c’est ce qu’il y a de meilleur tout de même.

Je viens de recevoir votre lettre. Romain est bien gentil, j’espère que Camille fera bientôt comme lui.

Quant à l’instrument dont me parle Marie, je ne le connais pas ou ne le reconnais pas. Ce ne doit pas être un instrument de marine ou bien il est démodé. Du reste, nous n’avons pas besoin de presque d’instruments sauf notre sextant et c’est toujours le gouvernement qui en fournit aux navires. Les sextants aussi du reste, je n’en aurais guère besoin les années suivantes, cette année seulement parce qu’il n’y a pas 10 sextants à bord mais seulement un couple. Du reste, j’en suis très content, il est un peu sale mais très bon.

Je n’ai pas le temps d’écrire à Paris. Je leur écrirai à Montevidéo pour leur souhaiter une bonne année.

J’espère que pas n’aura pas d’ennuis avec ses baraques. Mon oncle décidément passera la moitié des hivers dans son lit.

En venant ici, nous avons eu un petit coup de vent. Une vingtaine d’aspirants ont été malades, mais décidément je suis un vieux loup de mer car je n’ai rien ressenti. Nos bœufs eux n’étaient pas si heureux, ils étaient malades et ne voulaient pas manger. Si cela continue, ce qu’ils seront maigre dans trois semaines. Il est vrai qu’ils seront tous mangés dans quinze jours, il en faut 3 tous les 2 jours. Enfin, nous avons 4 mois de conserves dans les soutes.

Je vous embrasse tous de tout cœur. Votre fils. Joseph. (reçu le 25/9, matin)

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