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Lundi 2h après-midi (23 septembre)

Nous allons arriver à Colombo dans un couple d’heures. Nous ne savons pas encore quand nous partirons. Si le transbordement des marchandises, des bagages, des passagers et des 2 ou 300 sacs de lettres et journaux qui forment le courrier de Chine peut être fait sans encombre, nous partirons ce soir même à 9 ou 10 heures. Mais, il faut tenir compte des formalités de douane, du service de santé qui pourraient nous retarder assez pour faire remettre à demain ce transbordement et par conséquent le départ.

Du reste deux ou trois heures suffisent pour voir Colombo, pour avoir une idée de la ville. Du reste, il n’y a pas là d’achats à faire sauf des fruits. En outre, on trouve des éléphants mastoc, taillés à coup de couteau dans de l’ivoire ou de l’ébène. Il y a aussi beaucoup de bijoux, car Ceylan est le pays des pierres précieuses, mais comme ces pierres n’ont à payer ni transport, ni douane, il n’y a rien à faire là. Ou plutôt il y a à se faire voler comme l’un des officiers du bord qui, à son premier voyage, avait payé 120f une bague en or, ornée d’un énorme rubis. Mais en la faisant estimer à Marseille, l’officier en question a appris qu’elle valait 20f ou 25f, le poids de l’or, car le rubis était faux, un simple morceau de verre rouge taillé.

Nous avons hier la messe en musique, puis le concert dont je vous parlais vendredi. Pour ce concert, les 1ère et 2ème classes étaient seules admises, il a duré environ 2h½ avec quelques entractes pendant lesquelles on faisait circuler des glaces. A près cela, on a dansé un peu, mais pas longtemps car la chaleur est encore forte.

Je vous ai déjà dit que le produit de ce concert devait être envoyé à la société des sauveteurs qui construit des bateaux de sauvetage un peu partout le long de nos côtes et donne des secours aux veuves et orphelins des pécheurs morts en mer. Outre une quête, il y avait une vente de programmes au début. Des programmes simplement écrits à la main d’abord et puis une vente aux enchères de programmes illustrés. J’en avais fait un tout petit sur une feuille de papier à lettres, trois petites filles à ânes courant l’une après l’autre et qui s’est vendu 28f75. Un joli prix, vous voyez ; il est vrai qu’un autre grand a atteint 40f.

Les passagers en général sont heureux d’arriver à Colombo, d’abord parce que 10 jours de traversée leur semblent long et puis que, depuis ce matin, il y a un peu de tangage et de roulis, juste assez pour indisposer les plus délicats. Comme il y a 4 ou 5 courriers pour la Chine chaque mois, cette lettre partira au plus tard dans 4 ou 5 jours, vous l’aurez donc vers le 10, le 15 au plus tard du mois prochain. C’est bien long tout de même. Nous mettrons 6 jours pour aller à Singapour, le "Salazie" ne filant que 13 nœuds. La lettre que j’y mettrai vous arrivera donc 12 ou 15 jours après celle-ci. Du reste, en voyant dans le Matin le passage des paquebots, vous pouvez prévoir l’arrivée de mes lettres qui viennent, soit par les paquebots de Messageries Maritimes, soit par la ligne de paquebots anglais. Malgré tout, les nouvelles seront rares jusqu’à ce que j’arrive au Japon, mais une fois arrivé vous aurez régulièrement une lettre toutes les semaines.

Outre ma lettre de Port Saïd, j’ai mis à Suez une carte postale représentant l"Armand Béhic" et affranchie avec les timbres de la compagnie du Canal de Suez. Je vais vous en mettre une autre à terre représentant le "Salazie" et affranchie en timbres de Ceylan. Il est certain que le temps me semblera long à moi aussi, près de deux mois sans une lettre et alors des nouvelles datant de 8 jours seulement après mon départ !

Enfin, je me persuade que vous allez tous aussi bien que moi!

Peut être, somme toute, n’irai je pas jusqu’au Japon maintenant. L’escadre va redescendre plus au Sud puisque l’hiver s’approche et elle y retournera l’été prochain pour éviter les grandes chaleurs de l’Indo-Chine.

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