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9 octobre 1901

De Shanghaï

Peut être qu’en attendant d’être arrivé à Nagasaki, une lettre passant par l’Amérique vous arriverait avant celle ci, mais je ne veux pas manquer un courrier et demain matin je mettrai ces pages à la poste en arrivant à Shangaï.

Ainsi que je vous l’écrivais le 6 dimanche, nous sommes arrivés à Hong-Kong vers 8 heures du soir. Nous ne sommes pas descendus à terre, ce soir là, d’abord parce qu’Hong-Kong est une possession anglaise et que tout y était fermé, par conséquent, un dimanche. Et puis, comme nous avions à bord, une cargaison de cartouches et d’obus que nous devions débarquer pour donner aux canonnières françaises de Canton ce débarquement devait être fait en dehors du port, nous étions donc assez loin de terre.

Comme le lendemain nous ne repartions que le soir à cinq heures, nous avons pu aller passer quelques heures dans la ville. Nous y avons trouvé un nouveau moyen de locomotion, à côté des pousse-pousse, il y a là les chaises à porteur. Absolument les gravures que l’on voit constamment, une chaise très légère avec un toit en natte et suspendue sur deux bambous que deux Chinois mettent sur leurs épaules. Et l’on a à sa disposion, les deux Chinois et leur chaise pendant une heure pour quinze sous. Il est vrai qu’ils se réservent le droit de se reposer de temps en temps ; toutes les dix minutes, l’un des porteurs pousse un cri et crac avec ensemble, ils reposent la chaise par terre dans le ruisseau et ils s'assoient sur le trottoir. Au bout de deux minutes, ils reprennent les brancards et repartent.

Cette chaise à porteur est souvent supérieure aux pousse-pousse. Car la petite île sur laquelle est construit Hong-Kong se compose d’une demi-douzaine de pitons très abrupts que ne peuvent guère remonter les pousse-pousse. La ville qui est construite le long de l’un de ces pics a aussi des rues très rapides et parfois même en escalier. Ce pic Victoria est le plus haut de cet îlot et a 550 m d’altitude. Nous en avons fait l’ascension et de là on a un panorama splendide sur la baie, la multitude d’îlots et de rochers qui sortent partout la mer et sur la Chine qui est là très montagneuse, presque déserte et presqu’inconnue au point que l’exploration de cette région n’a pas encore été faite et quelle figure sur les cartes par un coin resté en blanc. Presqu’au sommet de ce pic, il y a une caserne anglaise, mais commecelle de Colombo, elle est presque vide ; la police de la ville est faite par des troupes indiennes, des cipayes.

Nous avons aussi été faire un tour dans la ville chinoise qui ressemble beaucoup à Cholon avec ses boutiques indiquées par d’énormes lanternes en papier huilé et des escaliers aux marches plaquées de cuivre qui coupent ces boutiques en deux. Du reste, nous verrons cela à Shanghaï beaucoup mieux et dans toute sa pureté ou, si vous préférez, dans toute sa saleté.

Nous sommes ensuite rentrés à bord ; nous sommes partis à l’heure indiquée en traversant toute la rade et en route pour Shangaï.

Le nombre des passagers de première classe s’est augmenté de 8 personnes parlant toutes anglais du reste. Quatre anglais dont le pilote qui doit conduire le navire pour entrer dans la rivière de Shangaï et une anglaise. Plus une famille de Macaïdes, c’est à dire de métis de portugais et Macao et de chinois. Je n’ai jamais rien vu de plus horrible que cette race avec sa peau d’un jaune sale et les mâchoires beaucoup plus saillante que le nez ; le père, la mère et la fille ont absolument un profil de singe. Malgré cela mis élégamment, musiciens, la jeune fille de plus à la manie chaques fois qu’on voit une pointe de rocher ou un îlot là bas, tout là bas à l’horizon, de tirer un crayon, un album et de faire un croquis (dans ce genre).

Il est vrai qu’en secondes nous avons un passager beaucoup plus intéressant, un missionnaire français qui à manqué être tué par les Boxers l’an dernier et qui maintenant retourne en Mandchourie retrouver son église brûlée et sa maison détruite. Il est depuis 30 ans en Chine et n’est retourné qu’une seule fois en France depuis, à la suite d’un accident de voiture qui lui avait cassé les deux jambes. Les missions françaises ont perdu en Chine près de 3 millions et en Mandchourie ont eu 10 missionnaires et deux sœurs de massacrés. Celui là a été aumônier à l’armée de la Loire en 1871. Il est toujours gai, toujours prêt à rire et avec cela joue très bien aux et aux échecs, aussi c'est une fameuse recrue pour notre petit groupe.

10 octobre / 7 h du matin

Nous sommes partis, nous attendant à du mauvais temps ; à Hong-Kong on nous avait prédit des typhons dans toutes les directions. Or la traversée c’est effectuée sans la moindre mer, à peine un peu de roulis pour rendre malades quelques estomacs délicats à bord. C’est tout !

A Hong-Kong, l’agent des postes a reçu un télégrammes daté du 5 l’informant que l’amiral Potier et le "Redoutable" étaient à Nagasaki. Donc après tant d’hésitations, après vous avoir écrit : Je vais à Yokohama, non à Nagasaki, si à Yokohama, tout compte fait, il est presque certain que ce sera à Nagasaki que je quitterai le "Salazie"». Il est probable, du reste, que nous n’y resterons qu’une journée ou deux, car le "Redoutable"» doit être de retour à Hong-Kong le 21 ou le 22 courant. C’est du moins, ce que m’a assuré le vagemestre du "Friant", croiseur français qui était à Hong-Kong. L’amiral attendait donc à Nagasaki son courrier d’abord, nous ensuite et repartirait immédiatement du Japon que nous ne ferions donc qu’entrevoir. Il est vrai qu’il est probable que nous le reverrons au printemps prochain.

Nous allons, du reste, quitter les pays de fortes chaleurs. A Hong-Kong encore qui est assez resserré entre les pics et les montagnes, il faisait une chaleur très grande et pour être descendu à terre en chapeau de paille au lieu du casque colonial, j’étais rentré à bord avec un fort mal de tête, dissipé le lendemain matin, heureusement. Aussitôt partis de Hong-Kong la température s’est abaissée sensiblement et si hier encore j’étais en veston blanc, je me suis remis aujourd’hui dans mon complet. C’est une température de 20° à 25°. Ce sera encore la même chose à Nagasaki, mais si nous y restions encore un mois seulement, il y ferait froid. Et comme l’amiral Potier est d’une santé très délicate.

A moins de nouveaux passagers montant à Shanghaï, il ne restera pas de passagers en 1ere classe après Nagasaki. L’officier anglais qui devait aller jusqu’à Yokohama et de là en Amérique a changé d’avis tout à coup et est resté à Hong-Kong.

Dans une heure, nous serons à l’entrée de la rivière de Shanghaï que le "Salazie" ne remontera pas. Un petit vapeur appartenant à la compagnie fera deux ou trois voyages entre le navire qui restera là mouillé et Shangaï. C’est un trajet d’une heure et demie ou deux heures suivant le courant. Des chalands viendront chercher ou apporter des marchandises. Nous repartirons demain dans la soirée, vers 9 heures probablement et il faut 40 heures pour atteindre Nagasaki

Je vous embrasse

Votre fils

Joseph

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