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Dimanche 13 octobre 1901 (1h du matin)

Paquebot le "Salazie"

Chers parents,

Nous allons arriver vers 7 ou 8 heures ce matin à Nagasaki, comme il y a un courrier, le "Laos", qui en repart à midi, avant de me coucher je veux vous mettre quelques lignes bien qu’il n’y ait que 3 ou 4 jours que je vous ait écrit.

Nous sommes donc arrivés à l’embouchure de la rivière de Shanghaï jeudi matin vers 7h, aussitôt après la visite sanitaire, un remorqueur de la compagnie est venu nous chercher pour nous remonter jusqu’à Shanghaï, ce qui est l’affaire d’une heure environ. Shanghai est divisé en 5 parties. L’une est française, elle a 3 kilomètres de long sur pas tout à fait un de large, donnant sur la rivière. Une autre estanglaise, une autre, américaine et une quatrième, internationale. Enfin la cinquième est chinoise. Elle est encore entourée de ses vieux murs crénelés avec quelques vieux canons de fonte et des portes de fer. Cette fois c’est une véritable ville chinoise et Cholon ou Hongkong n’en donnent aucune idée. C’est un dédale de rues où l’on ne peut avancer deux de front sans se heurter aux murs, où ne passe jamais une voiture, très rarement une chaise à porteurs. Il faut bien entendu avoir le nez cuirassé pour aller là. Au milieu, un temple de Bouddha, entouré de jardins, de pavillons, de la demeure du mandarin, forme une petite ville entourée d’une nouvelle muraille. Des rivières aux eaux noires traversent la ville, certaines places sont occupées par un lac au milieu duquel on a construit sur pilotis. Et ces boutiques où l’on débite les gelées, les bouillies les plus bizarres que ces Chinois mangent avec leurs deux bâtonnets.

Nous avons été voir aussi une fumerie d’opium, puis une grande pagode dédiée au Bouddha-amiral auquel se recommandent les marins. Aux murs, il y a des jonques suspendues en ex-voto. Les chinois brûlent des cierges devant la statue, absolument les usages européens.

En plus, ils ont une façon de prier qui consiste à acheter aux prêtres un chapelet en papier argenté que l’on brûle devant la statue.

Nous avons ensuite été à Si-Ka-Wei, à 8 km de Shanghaï, où se trouve un orphelinat tenu par des sœurs et, à côté, un observatoire où observent des jésuites. Nous avons été reçus par le père Ploh qui s’occupe beaucoup de la marche et de la prédiction des typhons. Nous sommes repartis vendredi. Nous avions débarqué le missionnaire et la famille espagnole et embarqué 4 juifs anglais, plus deux anglaises, la mère et la fille, qui parlent français. Mais nous ne les avons à peine vus, car comme il y un peu de houle : anglaises, macaïstes n’ont pas paru aux repas, ni sur le pont. Les anglais du reste ne sont pas très fiers, non plus. A part des pluies presque continues, le voyage n’a présenté rien de remarquable et nous allons bientôt arriver à Nagasaki.

Aussitôt amarrés et la visite sanitaire passée, je compte voir une vedette venir nous chercher. Il est, en effet, certain cette fois que l’amiral est la avec le "Redoutable", ce n’est pas pour longtemps probablement, mais enfin nous sommes à destination.

Les fortes chaleurs nous ont quittés bien entendu, mais il ne fait pas froid, il s’en faut. Nous avons même, la nuit, toujours plus de 20°, donc on peut encore rester en blanc et se contenter d’une petite couverture de coton pour passer la nuit. Il est, du reste, à prévoir que nous allons requitter le Japon demain ou après demain. Somme toute, je suis heureux de m’arrêter, car c’est le seul moyen d’avoir des lettres. Je sais bien qu’il me faut encore attendre huit jours et qu’alors j’aurai des nouvelles datant du surlendemain peut être de mon départ, mais enfin, c’est quelque chose déjà.

Quant à vous, vous aurez maintenant des lettres régulièrement. A moins qu’il n’arrive à quelqu'une de mes lettres ce qui est arrivée à un paquet de lettres qui venait d’une canonnière allemande stationnée à Shangaï, paquet que nous devions transporter à sa destination de Nagasaki où se trouvent d’autres navires allemands. Au moment du transbordement du remorqueur dans le paquebot, le paquet à échappé au matelot qui le portait et est tombé à l’eau. Perdu sans retour ! C’est du reste fatal que quelque paquet se perde de temps à autre. Songez au nombre de paquets que transporte chaque paquebot. Nous en avions 217 pour Shangaï, plus de 300 pour Singapour, etc. Et chacun est gros au moins comme ma valise, ce qui représente un certain nombre de lettres, journaux.......

L’officier russe débarque lui aussi à Nagasaki.

Il est temps d’aller me coucher, je ne vous dis pas bonsoir, car comme il y a plus de 8 heures de différence entre Honfleur et Nagasaki vous n’en êtes guère qu’au samedi vers 9 heures. Mais je vous embrasse tous de tout cœur

Votre fils

Joseph

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