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Dimanche 12 janvier 1902 (suite)

Saïgon

 Nous nous croyons en baie d’Halong pour au moins une huitaine, je vous avais écrit la lettre qui doit accompagner celle ci, elle devait partir le 9 pour trouver à Saïgon le courrier, quand tout d’un coup, crac, on ne fait plus la levée des lettres, puisque c’est nous qui partons le 10 pour Saïgon.

Traversée d’un peu plus de 2 jours puisque partis le 10 à 6 heures du matin, nous sommes arrivés à Saïgon à la fin de cette après midi, dimanche 12. Comme traversée rien de bien particulier. Des forts roulis, la première journée; ce qui nous oblige à fermer nos sabords et qui n’est guère amusant avec la température qui devient de plus en plus tropicale. Enfin, tout s’apaise dans l’après-midi du lendemain et le reste du voyage se fait par très beau temps. Ce matin, nous avons repris les vêtements blancs, et nous sommes venus nous amarrer à quai juste au beau milieu de la ville.

Du reste le résultat ne s’est pas fait attendre. Je suis de quart de minuit à 4 heures et c’est la quatrième fois qu’on vient me prévenir qu’un homme vient de rentrer sans avoir jamais eu la permission de partir. C’est bien simple, ils se glissent par un sabord et descendent par un des câbles qui nous amarrent à terre sans avoir besoin de l’escalier. Mais pour rentrer, c’est plus difficile, d’autant plus qu’ils ne sont plus à jeun. Alors, pour venir se coucher, ils viennent se présenter à l’échelle de coupée. Le résultat: quelques jours de prison et consigné pour les 3 semaines que nous allons rester à Saïgon, alors que, en attendant 2 ou 3 jours, ils seraient sortis avec permission étant donné que, chaque jour, un quart de l’équipage a sa nuit libre. Il y a bien deux factionnaires sur le quai, mais on n’obtiendra jamais d’eux qu’ils s’opposent à la sortie d’un camarade.

Nous allons rester aussi longtemps à Saïgon à cause des réparations qui nous sont nécessaires. Il était question d’aller au bassin de radoub, mais, somme toute, nous n’irons pas. D’abord parce qu’il faudrait attendre, étant donné que le bassin est pris en ce moment par un autre croiseur, le " Pascal". Et puis nous aurions beaucoup plus chaud ainsi à sec, avec les murs du bassin pour nous renvoyer le soleil, que dans la rivière dont les eaux sont relativement tièdes. Et puis ainsi, nous aurons moins de moustiques. Surtout dans le poste qui est à bâbord, alors que c’est tribord qui est accosté à quai. Les chambres de tribord sont déjà littéralement envahies de bestioles noires, blanches, rouges, grises, allant de la grosseur d’une sauterelle à celle d’une tête d’épingle.

Du reste, nos réparations ne sont guère importantes; ce sont plutôt des détails, des tuyaux à changer ou à remplacer, des modifications dans l’aménagement. Et nous ferrons cela sans hâte et sans précipitation.

En arrivant j’ai trouvé une lettre de vous datée du 12 décembre, ce qui ne lui faisait qu’un mois de date, c’est à dire relativement peu. Mais là encore, il y a un trou dans ma correspondance, la lettre la plus récente avant celle là, était du 28 novembre, il en manque donc évidemment une du 5 décembre. C’est ainsi que j’apprends que bon papa va mieux, avant de savoir qu’il à été malade et de quoi il a été malade? C’est comme pour bonne maman, je n’ai jamais su ce qu’elle avait eu, la première lettre qui parlait de sa maladie est une de celles que je n’ai jamais reçues. Du reste, c’est bien simple, de toutes ces lettres en retard, je n’en ai reçu qu’une seule, celle du 14 novembre que j’ai eu en baie d’Halong et qui contenait cette carte postale dont je renvoie le timbre à Marie.

Vos lettres datent du moment où vous recevez les miennes de Yokohama, c’est à dire tous les quatre ou cinq jours. L’Extrême-Orient a au moins cela d’agréable pour ceux qui sont restés en France, que les courriers sont nombreux, mais que le service des lettres venant d’Europe y est mal fait. Bien entendu, vos lettres contiennent quelques échos de la Sainte Catherine qui sera aussi bonne, j’espère que celle de l’an dernier, au point de vue affaires.

Cette foire me fait penser aux vacances. Il est trop tard pour le jour de l’An, mais au Mardi Gras et à Pâques, je permettrai que Romain et Camille aillent au grenier prendre le théâtre et la BIP. A condition bien entendu de tout remettre en ordre les vacances finie, mais à une autre condition encore: celle de m’écrire, chacun, pendant leur congé, une lettre la plus longue possible.

Il faut que je donne la même permission pour les grandes vacances qui [......] en grande partie pendant mon voyage de retour puisque je partirais par le dernier paquebot de juillet ou le premier d’août. Mais je ne ferai pas la même condition, car il est peu probable que je puisse recevoir des lettres pendant ce retour. A moins que je ne trouve moyen, assez longtemps à l’avance de vous dire au juste par quel bateau je rentre et quelles seront les dates exactes de ses arrivées dans les ports intermédiaires : Singapour, Colombo, Suez.

A propos de paquebot, le prochain doit nous amener de France, un enseigne et un lieutenant de vaisseau à destination du "d’Entrecasteaux" dont l’Etat-Major n’est pas au complet

[Enorme tache d’encre qui rend la lettre totalement illisible]

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