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Mercredi 22 janvier 1902

Saïgon

Chers parents,

J'ai reçu, il y a quelques jours votre lettre du 19 décembre. Ou plutôt, je l'ai reçue il y a huit jours, si bien que le courrier suivant arrive aujourd'hui et que je vais peut-être avoir encore une lettre avant qu'on ne fasse la levée de celle-ci. Enfin, en attendant, je la commence toujours, quitte à ne la cacheter qu'à la dernière minute.

C'est justement dans cette lettre que vous me disiez que Mr Cassy était à bord du "Canarias". Et ce "Canarias" est arrivé à Saïgon dimanche midi. Dimanche soir, pendant le souper, on est venu me demander à bord. Je croyais trouver Mr Cassy, c'était Corblet, le fils d'un armateur du Havre avec qui j'ai fait ma troisième et ma seconde et qui est lieutenant à bord du "Canarias", ou plutôt qui s'occupe à voyager pendant un couple d'années pour passer son examen de capitaine au long cours, à cause du service militaire qui sera pour lui réduit ainsi à un an, sur le "Bouvines".

Lundi, Mr Cassy est venu me voir à bord, alors que j'étais de service. Nous sommes sortis ensemble hier. Il a un beau-frère et une belle-sœur à Saïgon et il doit venir à bord un jour ou l'autre visiter le bateau.

Il m'a proposé de se charger de toutes les commissions que je voudrais lui donner. J'ai bien envie de lui donner quelques petites choses à emporter, car toutes ces choses là ont à payer à la douane et, en rentrant par le paquebot, j'aurai peut-être du mal à les passer : par exemple une livre de thé, une petite statuette de danseuse japonaise en porcelaine; mais tout cela paye à la douane, non seulement le thé, mais encore tout ce que l'on appelle japoneries ou chinoiseries est frappé d'un droit de douane: à peu près égal à sa valeur. Il est vrai que, quoiqu'il en dise, Mr Cassy aura probablement des difficultés analogues en arrivant au Havre, si bien que je ne sais pas encore si je lui donnerai mon paquet. En tout cas, ce ne serait que dans quelque temps, quand, après être reparti pour Haïphong, il en reviendra et nous retrouvera à Saïgon, d'ici une douzaine de jours. Il est du reste en aussi bonne santé que moi, il me prie de bien vous le dire pour qu'on le sache chez lui.

Comme c'était à prévoir, je viens de recevoir votre lettre du 26 décembre qui me parle de votre journée de Noël et du baptême de la petite Berthe et du "Moniteur de la Flotte" que vous passe maintenant Mr Berre. Du reste, ce "Moniteur" est très bon pour vous dire ce que nous venons de faire et où nous sommes, mais c'est autre chose quand il s'agit de ce que nous devons faire; la moitié du temps, nous ne le savons pas nous même trois jours à l'avance. Ainsi, il ne s'est jamais agi d'aller au Yang Tsé, ce sera probablement pour le printemps. En ce moment nous savons vaguement que nous irons chercher l'empereur d'Amman pour le mener à l'inauguration du chemin de fer entre Hanoï et Haïphong, mais c'est assez vague encore. Quant au "Redoutable", il reste en Extrême-Orient, ce n'est que l'amiral Potier qui doit rentrer en France au mois de Mars.

Avec cette lettre qui arrive au milieu de ma correspondance, j'ai laissé arriver l'heure du courrier et je n'ai pas le temps de vous griffonner même 4 pages. Enfin, nous sommes à Saïgon, je me porte bien et je vous embrasse tous de tout cœur.

Votre fils

Joseph