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 lettre suivante du 10 avril 1902

 

Hong-Kong, lundi 7 avril 1902

 Chers parents,

En vous annonçant que j'allais embarquer sur la "Décidée" je ne vous ai pas spécifié de m'adresser vos lettres à bord de cette canonnière et non à bord du "d'Entrecasteaux"; mais je crois que vous y avez pensé : il n'y a du reste qu'à remplacer "d'Entrecasteaux" par "Décidée", le reste est toujours de même, il ne faut toujours pas affranchir bien entendu.

Je vais faire mon déménagement et mon emménagement cette après-midi et demain j'aurai changé décidément de bord. Ainsi que je vous le disais dans ma dernière lettre, je suis aller y dîner. J'ai donc fait connaissance des officiers à savoi r (outre le lieutenant de vaisseau nouveau promu qui va partir par le même paquebot que cette lettre) un enseigne servant de second, trois enseignes avec qui je ferai le service et un médecin à deux galons. Il n'y a pas de commissaire, c'est un sous-officier qui fait les comptes et les écritures sous la direction du commandant. Je n'ai pas vu ce commandant, car il a ses appartements sur l'arrière et y mange seul. De plus, comme il était près de 7 heures quand je suis arrivé à bord je n'ai rien vu du bateau si ce n'est les chambres et le carré (c'est ainsi qu'on appelle la salle à manger commune aux officiers). Voici la disposition. La chambre hachurée est celle qui sera la mienne.

Généralement les officiers prennent leurs chambres par rang d'ancienneté, les plus vieux commençant par l'arrière. La mienne est à l'arrière puisque c'est celle de celui qui s'en va et qui était le plus vieux. Toutes les chambres étant semblables, les autres n'ont pas voulu déménager pour se reporter sur l'arrière.

Avant même d'être parti, mon remplaçant est arrivé samedi l'après midi en même temps que celui de Cambon qui est sur le "Lutin". Les deux aspirants viennent de Takou où ils ont été employés d'abord à assurer le débarquement des troupes marchant sur Pékin, puis celui des vivres, munitions, puis le rembarquement . Mais comme depuis 6 mois, ils n'avaient rien à faire, d'autant plus de Takou était pris par la glace tout l'hiver, on les a rappelés à bord. Le poste sera donc encore au complet une fois. Il est vrai que sur les huit, il y a Faure qui n'est toujours pas solide. Il est toujours dispensé de tout service et il a été question de le renvoyer en France. Somme toute on va le garder, car il va certainement se remettre en remontant vers le nord.

Car le "d'Entrecasteaux" va remonter très vite. Et ce qui me fait plaisir de le quitter, c'est qu'il va recommencer à voir ce qu'il a déjà vu, va refaire Takou, Nagasaki, Kobé, Yokohama, Shanghaï, enfin guère que des villes déjà vues. Et j'espère voir davantage de nouveau sur la "Décidée" qui va presque certainement aller dans le Yang Tsé, le pays des chasses, alors que le "d'Entrecasteaux" ira tout au plus jusqu'à Nankin. Maintenant l'itinéraire de la "Décidée" n'est pas encore très fixé. Elle devait d'abord partir cette après-midi pour Macao, mais c'est changé. Elle va seulement se rapprocher du "d'Entrecasteaux" et, le 10, remontera vers Fou-Tcheou. Mais ce n'est pas encore très sûr.

En attendant, nous sommes toujours à Hong Kong. Nous commençons à le connaître, mais nous ne nous y ennuyons pas. C'est une ville assez gaie avec quelques rues curieuses, de jolies promenades, des tas d'Anglais et une véritable flotte française sur rade. L'amiral y a appelé tout ce qui était à Canton, Anoy, pour en passer l'inspection générale ; il y a là un croiseur le "Bugeaud", plus la "Décidée" et trois petites canonnières de Canton. Cela fait toute une bande d'officiers. Mais malgré tout, bien peu auprès de la flotte anglaise qui possède à Hong Kong 5 cuirassés et trois croiseurs de 12 000 tonnes, sans compter les plus petits. Il est vrai que, comme armée de terre, il ne reste guère que des agents de police hindous, le reste est au Transvaal. Je vais recevoir cette après-midi le courrier qu'amène "l'Indus".

 Je vous embrasse tous de tout cœur.

Votre fils

Joseph